Les jeux vidéo sont aujourd’hui l’un des passe-temps les plus populaires au monde, et un passe-temps auquel s’adonnent des personnes de toutes les générations. La valeur du marché des jeux vidéo serait de plus de 300 milliards $ US[1] et on estime qu’elle pourrait atteindre 435 milliards $ US d’ici 2028 (voire avant)[2].
Le secteur des jeux vidéo est un écosystème en constante évolution, qui ne sert plus seulement à divertir le joueur lui-même. Par l’intermédiaire de diverses plateformes, les joueurs diffusent leurs parties en ligne, souvent durant des heures, pour le plaisir d’un public toujours plus nombreux. Les joueurs professionnels de jeux vidéo peuvent attirer des millions de spectateurs et, dans certains cas, leur rémunération (par le biais de salaires, de commandites et de revenus publicitaires) est comparable à celle d’athlètes professionnels. On parle d’ailleurs de plus en plus d’« athlètes de sport électronique » et chaque année, de plus en plus de personnes deviennent des joueurs professionnels à temps plein.
Comme de plus en plus d’aspects de nos vies se passent en ligne, nous sommes de plus en plus susceptibles de nous retrouver, d’une façon ou d’une autre, dans cet écosystème florissant. Par exemple, les jeux vidéo populaires ont donné naissance à des films, à des émissions de télévision, à des livres, à des jouets, à des vêtements et même à des aliments.
Modèles de monétisation
Contrairement à la plupart des autres formes de divertissement, les jeux vidéo sont relativement indépendants des modèles traditionnels de génération de revenus. De manière générale, la plupart des jeux vidéo reposent sur un ou plusieurs des modèles suivants :
- Paiement unique à l’achat : Les jeux pour appareils mobiles coûtent généralement entre 5 $ et 20 $ CA, tandis que le prix des jeux pour consoles et PC oscille plutôt autour de 80 $ CA. Le jeu est complet en soi, et les joueurs ne sont pas invités à réaliser des achats à l’intérieur du jeu. Si le développeur souhaite poursuivre l’histoire, il crée une suite (généralement vendue comme un autre jeu à paiement unique quelques années plus tard).
- Contenu téléchargeable ou extension (expansion pack) : Le développeur du jeu publie des mises à jour périodiques (souvent annuelles ou trimestrielles) pour faire évoluer l’histoire du jeu ou introduire de nouveaux mécanismes et fonctionnalités. Ces « extensions » coûtent souvent moins cher que le prix du jeu au moment de l’achat, soit généralement autour de 20-30 $ CA. Le téléchargement de ces ajouts n’est pas requis pour profiter du jeu initial, que le développeur vend généralement comme un jeu à paiement unique, mais les extensions sont conçues pour prolonger la durée de vie du jeu.
- Passe de saison ou passe de combat (Battle Pass) : Un développeur de jeux peut choisir de vendre une « passe » qui permet au joueur d’accéder à du contenu ou à des fonctionnalités supplémentaires pendant un certain temps (un peu comme dans le sport, une « saison » dure généralement quelques mois seulement). Certaines « passes » sont liées à des étapes que le joueur doit atteindre (par exemple, vaincre un nombre X d’ennemis pour débloquer une fonction Y). Comme le contenu téléchargeable, les passes de saison sont généralement vendues entre 20 $ et 30 $ CA. Certains jeux offrent une passe de combat gratuite à tous les joueurs, mais vendent des passes de combat offrant des fonctionnalités supplémentaires par rapport à la version gratuite.
- Revenus publicitaires : Certains jeux affichent de la publicité (souvent des bannières publicitaires comme celles que l’on trouve sur les sites Web, mais parfois des publicités « plein écran » entre deux combats ou tableaux). Le modèle de jeu gratuit (voir plus bas) est un modèle de commercialisation où les revenus sont souvent tirés de la publicité intrajeu. On trouve rarement de la publicité dans les jeux à paiement unique, les extensions ou les jeux qui génèrent des revenus en vendant des passes de saison.
- Microtransactions (souvent appelées « MTX ») : Certains jeux vidéo vendent des éléments de jeu, beaucoup plus petits que le contenu qui est offert dans une extension ou auquel le joueur a accès avec une passe de saison, et ce, à un prix relativement bas. Une extension d’une trentaine de dollars permet aux joueurs d’obtenir de nouveaux niveaux, de nouveaux personnages ou de nouveaux mondes à explorer, alors qu’une MTX, de 1 à 5 $ CA, selon le cas, permet aux joueurs d’augmenter leur puissance pour un certain nombre de jours, de modifier l’apparence de leur personnage (on parle souvent alors de MTX cosmétiques) et de prolonger de 30 secondes le temps dont ils disposent pour terminer un niveau (les microtransactions de « prolongation du temps » sont populaires dans les jeux de réflexion).
- Modèle de jeu gratuit (on parle généralement de Free-to-play, que l’on abrège souvent en « F2P ») : Les jeux F2P sont parfois appelés jeux « freemium » (un mot-valise formé à partir des mots « free » et « premium »). L’accès à un tel jeu est gratuit, mais son contenu « premium » est payant, généralement selon l’un des autres modèles de monétisation mentionnés plus haut (p. ex. une passe de saison ou une MTX) et le jeu peut comporter des publicités. Dans le jargon, il arrive que l’on appelle les joueurs qui jouent à un jeu, mais qui ne dépensent jamais d’argent (que ce soit pour acheter une extension ou une passe ou pour effectuer une microtransaction) des « joueurs F2P ».
- Payer pour du temps : Dans certains jeux F2P, la progression du joueur est limitée non seulement par la nécessité d’acquérir certaines ressources dans le jeu, mais aussi par le manque de temps. Par exemple, le déverrouillage d’un coffre contenant un objet dont le joueur a besoin peut prendre quelques secondes ou quelques minutes au début du jeu, mais à mesure que le joueur progresse et que les récompenses que les coffres contiennent augmentent en qualité ou en quantité, le « temps de déverrouillage » peut prendre des heures, voire des jours. Dans certains jeux, les joueurs ont la possibilité d’éliminer le temps de déverrouillage en payant une prime en monnaie du jeu (achetable en espèces) ou parfois en payant directement en espèces. Ce mécanisme est généralement considéré comme une forme de MTX.
Les microtransactions ne sont pas vraiment réglementées
Au cours des dix dernières années, les microtransactions sont devenues de plus en plus fréquentes, en particulier dans les jeux gratuits. Selon la plupart des estimations, les revenus tirés des microtransactions atteignent chaque année plusieurs milliards de dollars.
Bien que les développeurs de jeux vidéo aient de plus en plus recours aux microtransactions dans leurs jeux, les gouvernements fédéral et provinciaux canadiens – comme presque tous les gouvernements du monde – n’ont pas encore mis en place de régime de réglementation. En effet, la monétisation des jeux vidéo n’est pratiquement pas réglementée en dehors des lois existantes sur la protection des consommateurs et la publicité, dans la mesure où ces lois peuvent s’appliquer.
C’est le problème auquel les développeurs de jeux vidéo seront confrontés à l’avenir : les lois et la jurisprudence existantes pourraient s’avérer terriblement inadéquates pour l’industrie des jeux vidéo. À bien des égards, les jeux vidéo sont sui generis. À l’heure actuelle, les sociétés de jeux vidéo n’ont d’autre choix que de développer des jeux dans un contexte réglementaire qui pourrait changer radicalement dans un avenir proche.
En cas de litige, les tribunaux canadiens essayeront d’appliquer par analogie des précédents provenant d’autres industries ou interpréteront des lois vieilles de plusieurs décennies, rédigées avant même l’arrivée des jeux vidéo.
À l’échelle mondiale, la plupart des pays et territoires de compétence ne sont pas mieux préparés que le Canada. En fait, il semble que seule une poignée de pays ait commencé à réglementer la monétisation des jeux vidéo, notamment les microtransactions. Les Pays-Bas, la Belgique et le Japon ont mis en place des régimes de réglementation stricts qui ont interdit certains jeux vidéo.
Le gouvernement japonais a peut-être adopté l’approche la plus ferme en interdisant tous les jeux de type « kompu gacha » (souvent abrégé en « gacha »). Les jeux gacha incitent les joueurs à collecter un ensemble d’objets (un « kompu ») dans l’espoir de débloquer un objet plus rare. Par exemple, le joueur collecte (ou plutôt achète) 25 objets de A à Y dans le but d’obtenir le grand prix Z. Les objets sont offerts de façon souvent très aléatoire, de sorte qu’un joueur peut avoir besoin d’acheter des centaines d’objets, autrement dit d’effectuer des centaines de microtransactions, afin de compléter son kompu. En 2012, les législateurs japonais ont interdit cette méthode de monétisation des jeux, du fait de son caractère aléatoire et incitatif à l’achat[3].
Ce qu’il faut retenir
Au Canada, le secteur des jeux vidéo est particulièrement dynamique et florissant, mais la réglementation et les contraintes juridiques restent floues. Si elles ne suivent pas de près ce que les gouvernements cherchent à faire pour contrôler l’industrie, ainsi que les décisions que les tribunaux canadiens rendent dans des litiges liés aux jeux vidéo, les entreprises de jeux vidéo risquent de développer des produits et des services qui, au moment de leur lancement ou peu après, pourraient faire l’objet de réglementations et de poursuites.
Pour rester au courant des derniers développements juridiques dans l’industrie des jeux vidéo, ainsi que de la réglementation canadienne relative aux jeux vidéo (y compris les microtransactions et les coffres-surprises (loot boxes)), veuillez communiquer avec les auteurs Josh Dial et Changhai Zhu.
Josh et Changhai souhaitent remercier Jesse Dias et Jack Yuan, étudiants d’été au bureau de Calgary, qui ont participé à la rédaction de cet article.
[1] https://www.accenture.com/us-en/insights/software-platforms/gaming-the-next-super-platform?c=acn_glb_thenewgamingexpbusinesswire_12160747&n=mrl_0421
[2] https://www.bloomberg.com/press-releases/2022-02-14/gaming-market-size-worth-usd-435-billion-by-2028-cagr-12-1-zion-market-research
[3] Pour consulter une traduction non officielle en anglais de cette loi, visitez le https://www.cas.go.jp/jp/seisaku/hourei/data/aau.pdf.