Dans l’arrêt Hazan c. Micron Technology Inc., 2023 QCCA 132, la Cour d’appel du Québec a confirmé qu’il ne suffit pas d’alléguer un complot de fixation de prix pour qu’une action collective soit autorisée.
Une certaine preuve est requise pour établir qu’il s’agit d’une « cause défendable » selon le critère d’autorisation qui est appliqué au Québec[1], et ce, même si les allégations sont en principe tenues pour avérées. La décision de la Cour d’appel confirme que le fait d’exiger une certaine preuve ne constitue pas une incursion dans le fond de l’affaire au stade de l’autorisation, mais s’inscrit plutôt dans la fonction de filtrage que doivent exercer les juges d’autorisation.
Le demandeur avait déposé une demande pour autorisation d’exercer une action collective nationale contre trois fabricants de puces de mémoire vive dynamique (« DRAM », pour Dynamic Random Access Memory), alléguant que les sociétés défenderesses (les défenderesses) avaient participé à un complot pour fixer les prix des puces DRAM en restreignant la production de celles-ci entre le 1ᵉʳ juin 2016 et le 1ᵉʳ février 2018. La Cour d’appel a souligné que le demandeur n’avait aucune connaissance personnelle des faits allégués et qu’il a simplement déclaré que les défenderesses ont mené leur complot « au moyen de déclarations aux investisseurs et à l’industrie » et de « déclarations publiques », sans toutefois déposer en preuve les déclarations en question[2].
Le paragraphe 575 (2) du Code de procédure civile exige que les faits allégués au soutien d’une demande d’autorisation paraissent justifier les conclusions recherchées. En appel, le demandeur a fait valoir que le juge d’autorisation, l’honorable juge Bisson de la Cour supérieure du Québec, avait commis une erreur en cherchant une preuve du complot allégué plutôt que de procéder à un examen prima facie des faits.
La Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge d’autorisation selon laquelle la Cour doit ignorer les éléments de la demande qui sont des opinions, des arguments juridiques, des déductions ou des hypothèses non vérifiées ainsi que les éléments qui sont carrément réfutés par une preuve documentaire fiable. Dans sa décision, la Cour d’appel a confirmé que les allégations suivantes nécessitaient une preuve objective à l’appui de la demande d’autorisation :
- Les défendeurs se sont entendus pour restreindre la concurrence ou ont participé à un complot visant à empêcher la concurrence;
- Le complot a gonflé artificiellement les prix d’un bien;
- Les acheteurs directs et indirects ont payé trop cher le bien en raison de ce complot[3].
La Cour d’appel a confirmé la décision du juge Bisson. La principale question dont ce dernier était saisi était de savoir si le demandeur avait satisfait au critère de la « cause défendable » du paragraphe 575 (2), qui exige que la cour puisse conclure que « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées »[4]. Le juge Bisson a conclu que les allégations de complot visant à restreindre la production de puces DRAM étaient trop générales et imprécises et que le fait que des autorités anticoncurrentielles aient mené des enquêtes, lesquelles n’ont abouti à aucune accusation, n’était qu’une preuve de soupçon et ne pouvait étayer une cause défendable du complot allégué[5].
La décision de la Cour d’appel du Québec est conforme à l’arrêt Infineon, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que « de simples affirmations sont insuffisantes sans quelque forme d’assise factuelle », exigeant en conséquence que des allégations générales et imprécises soient « accompagnées d’une certaine preuve afin d’établir une cause défendable »[6].
Cette décision fait suite à une décision similaire de la Cour fédérale rejetant une requête en certification d’une action collective contre les fabricants de puces DRAM au motif que les allégations de complot « ne reposent pas sur des faits substantiels, sont des conjectures et se résument à de simples affirmations »[7]. La Cour fédérale a également statué que les questions communes relatives au complot ne pouvaient pas être certifiées parce qu’il n’y avait aucun fondement factuel à l’appui de l’existence du prétendu complot. Le juge Gascon a conclu que les allégations de complot entraient en conflit avec le dossier public et constituaient, au mieux, la preuve d’un « parallélisme conscient », qui n’est pas illégal au Canada et qui est loin de constituer un complot[8].
Bien que les provinces de common law n’exigent pas (en fait, interdisent) le dépôt d’éléments de preuve pour que la Cour puisse évaluer les causes d’action selon les critères de certification, des décisions récentes, y compris celle de la Cour fédérale concernant les puces DRAM, ont appliqué une analyse en deux étapes pour évaluer le caractère commun, dans le cadre duquel la preuve du complot était pertinente. En plus d’évaluer s’il existe un fondement factuel pour les questions communes proposées relativement au complot allégué, les tribunaux de common law ont récemment exigé une preuve d’un « certain fondement factuel » afin d’établir que le complot allégué existe réellement[9].
L’arrêt Hazan nous indique que les tribunaux du Québec seront aussi réticents que leurs contreparties dans les provinces de common law à autoriser les actions collectives en matière de concurrence en l’absence de preuve à l’appui des allégations de complot.
Pour obtenir de plus amples renseignements à ce sujet, veuillez communiquer avec les auteurs de l’article : Adam S. Goodman, Margaret Weltrowska, Abbie Buckman et Camila Maldi.
[1] Au Québec, l’« autorisation » est le mécanisme d’examen préliminaire, équivalent au test de certification dans les provinces et les territoires de common law.
[2] Hazan c. Micron Technology Inc., 2023 QCCA 132 au par. 10.
[3] Ibid. aux par.9-14.
[4] Code de procédure civile, c. C-25,01, par. 575 (2).
[5] Hazan c. Micron Technology Inc., 2021 QCCS 2710 au par. 60.
[6] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59 au par 134.
[7] Jensen c. Samsung Electronics Co. Ltd., 2021 CF 1185 au par. 7.
[8] Ibid. aux par. 145-148.
[9] Voir Kuiper c. Cook (Canada) Inc., 2020 ONSC 128 aux par. 26 et 44; Hoy c. Expedia Group Inc., 2022 ONSC 6650 au par. 259.